Conseil d'Etat, 13 juillet 2023, n°455803
Par un arrêt rendu le 13 juillet 2023 (req. n°455803), le Conseil d’Etat juge qu’une carte d’aléa peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, lorsqu’elle indique son opposabilité et qu’elle a été rendue publique, autrement dit il s’agit d’un acte faisant grief :
« 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme C sont propriétaires, sur le territoire de la commune de Bon-Encontre, de plusieurs parcelles cadastrées section AZ nos 73, 74, 80 à 85 et 314, situées au lieu-dit " Mataly ", classées en zone d'aléa faible et moyen par le plan de prévention des risques de mouvements de terrains approuvé par arrêté préfectoral du 3 août 1992. Le 17 février 2015, le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) a présenté un projet de nouvelle cartographie des aléas concernant les risques de glissements de terrain, qui classait notamment ces parcelles en zone d'aléa fort. Par un courrier du 9 novembre 2015, le préfet de Lot-et-Garonne a transmis au maire de la commune de Bon-Encontre la version définitive de cette nouvelle cartographie. A la suite d'un certificat d'urbanisme négatif relatif à un projet situé sur ces parcelles, M. et Mme C ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux qui, par ordonnance du 21 mai 2015, a ordonné une expertise afin d'évaluer le niveau de risque de glissement de terrain sur leurs parcelles. Suite au dépôt de ce rapport d'expertise le 23 avril 2016, M. et Mme C ont demandé à la préfète de Lot-et-Garonne de modifier la cartographie établie par le CEREMA afin que leurs parcelles ne soient plus classées en zone d'aléa fort pour les glissements de terrain. Par un jugement du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a jugé irrecevable leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la préfète sur leur demande. Par un arrêt du 21 juin 2021, contre lequel la ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision préfectorale litigieuse.
2. En premier lieu, d'une part, les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.
3. D'autre part, en vertu des dispositions de l'article L. 121-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable en l'espèce, désormais reprises en substance à l'article L. 132-2 du code de l'urbanisme, le préfet transmet " à titre d'information " aux communes ou à leurs groupements compétents " l'ensemble des études techniques nécessaires à l'exercice de leur compétence en matière d'urbanisme " dont il dispose.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contestées en cassation sur ces points, que le document cartographique intitulé " carte d'aléa mouvement de terrain secteurs Agenais et Confluent " élaboré par le CEREMA en février 2015 a été publié sur le site internet de la préfecture de Lot-et-Garonne, à la rubrique " Politiques publiques - Sécurité et protection de la population - Risques majeurs ", et accompagné d'un commentaire selon lequel " dès lors qu'elle est communiquée à la collectivité, cette nouvelle connaissance du risque doit être prise en compte par la commune et l'État, notamment pour ce qui concerne la planification et les autorisations d'urbanisme ". Par ailleurs, le préfet de Lot-et-Garonne a indiqué au maire de la commune de Bon-Encontre, par un courrier du 9 novembre 2015, que les nouvelles informations résultant de cette cartographie devaient " être prises en compte dès à présent pour l'application du droit des sols, dans les secteurs nouvellement cartographiés et lorsque le niveau d'aléa défini par la cartographie de décembre 2013 est plus fort que celui pris en compte au titre du R. 111-3. Il conviendra dans ce cas d'utiliser l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en appliquant la partie du règlement actuel correspondant à la nouvelle classe d'aléa, et si nécessaire refuser le projet ou ne l'accepter que sous réserve de prescriptions ". Il ressort à cet égard des pièces du dossier que la décision d'opposition à déclaration préalable opposée le 24 mars 2015 aux consorts B est fondée sur les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et le zonage résultant de la carte établie par le CEREMA.
5. Pour juger que la demande de M. et Mme C tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de modifier la carte d'aléa mouvements de terrain réalisée par le CEREMA en tant qu'elle classe leurs parcelles en zone d'aléa fort était recevable, la cour a relevé que cette cartographie et les termes dont le préfet a assorti le porter à connaissance qu'il en a fait étaient destinés à orienter de manière significative les autorités compétentes dans l'instruction des autorisations d'urbanisme. Elle a également relevé que, compte tenu de la publicité qui lui a été donnée et des commentaires accompagnant sa publication sur le site internet de la préfecture, cette cartographie était, par elle-même, de nature à influer sur la valeur vénale des terrains concernés. Elle a enfin souligné qu'en l'absence de mise en œuvre d'un processus de révision du plan de prévention des risques, ce document ne saurait être regardé comme un document préparatoire à un tel plan et que, s'il est au nombre des études techniques qu'il incombait au préfet de transmettre à titre d'information aux communes ou à leurs groupements, dans le cadre de l'élaboration des plans locaux d'urbanisme, en application de l'article L. 132-2 du code de l'urbanisme qui s'est substitué aux dispositions de l'article L. 121-2 citées au point 3, cette circonstance ne permettait pas, eu égard à la publicité et la portée qui lui ont été par ailleurs données, d'exclure qu'il présente le caractère d'un acte susceptible de recours. En jugeant que, dans ces conditions, la cartographie du risque de mouvements de terrain ainsi que le refus opposé par le préfet de la modifier étaient susceptibles d'emporter des effets notables sur la situation et les intérêts des propriétaires des parcelles classées en zone d'aléa fort et pouvaient, par suite, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, la cour, qui n'a pas commis d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 132-2 du code de l'urbanisme, n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. En second lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que M. et Mme C étaient fondés à soutenir que le classement de leurs parcelles en zone d'aléa fort était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, la cour a rappelé les conclusions de l'expertise géotechnique, réalisée par le bureau Arcadis pour la communauté d'agglomération d'Agen en janvier 2016, mettant en cause la méthodologie retenue par le CEREMA pour le classement de très grandes plages de zones d'aléa fort et, s'agissant plus particulièrement des parcelles appartenant à M. et Mme C, la cour s'est notamment fondée sur le rapport d'expertise établi le 23 avril 2016 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, qui conclut que, compte tenu de la faible prédisposition des lieux au glissement de terrain et en l'absence d'élément aggravant, une partie de ces parcelles devraient être classées en aléa moyen et les autres en aléa faible. La cour a également relevé que cette conclusion n'était pas sérieusement contredite par une note du 5 mars 2018 sur les plans de prévention des risques de mouvements de terrain dans l'Agenais, établie à la demande de la direction départementale des territoires de Lot-et-Garonne. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, qui est exempte de dénaturation.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. »