Conseil d'Etat, 7 juin 2023, n°447797
Par un arrêt du 7 juin 2023, le Conseil d’Etat a précisé le sort réservé à un bail rural en cours portant sur une parcelle acquise par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages et incorporé à son domaine public.
En l’espèce, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, en vue de les faire entrer dans son domaine propre, a acquis, par un acte notarié du 31 mars 2005, du groupement foncier agricole (GFA) du Mas de Taxil des parcelles du domaine du Mas de Taxil situées sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer dont une fraction avait été donnée à bail rural, à compter du 1er avril 1995, verbalement à M. A., éleveur de chevaux. Par un jugement du 15 mai 2019, devenu définitif, le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon a reconnu, à compter du 1er avril 1995, l'existence d'un bail rural par la suite renouvelé conformément aux dispositions des articles L. 411-50 et suivants du code rural et de la pêche maritime et en a fixé l'échéance au 30 mars 2022 sans possibilité de renouvellement compte tenu de l'incorporation des parcelles occupées et exploitées par M. A. dans le domaine public du conservatoire à compter du 1er janvier 2017, en vertu d'une délibération du 21 novembre 2013 du conseil d'administration du conservatoire ayant fait l'objet d'une mesure de publicité adéquate. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ayant déféré M. A. au tribunal administratif de Marseille comme prévenu d'une contravention de grande voirie prévue et réprimée par l'article L. 322-10-4 du code de l'environnement, sur la base d'un procès-verbal dressé le 28 mars 2018, à raison d'une occupation sans droit ni titre des parcelles qu'il occupait et exploitait au lieu-dit le Mas de Taxil à la suite de leur incorporation au domaine public du conservatoire, le tribunal administratif a, par un jugement du 23 janvier 2020, condamné l'intéressé à payer à cet établissement public une amende de 500 euros, enjoint à l'exploitant d'évacuer les lieux dans un délai de neuf mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de remettre ces biens immobiliers au conservatoire dans l'état dans lequel ils se trouvaient au 1er janvier 2017. Mais, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et relaxé M. A. des fins des poursuites engagées au titre de la police de contravention de grande voirie après avoir constaté qu'à la date du procès-verbal du 28 mars 2018, d'une part, M. A. n'était pas dépourvu d'un titre d'occupation du domaine public et, d'autre part, il n'avait pas, en raison de son activité pastorale et de coupe de roselière sur les parcelles occupées, porté atteinte à l'intégrité du domaine public relevant du conservatoire.
Saisie à son tour, la haute assemblée indique qu’ « en vertu des dispositions de l'article L. 322-9 du code de l'environnement […], le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, ou l'une des personnes morales mentionnées au deuxième alinéa de cet article avec laquelle il a passé une convention de gestion, peut autoriser par voie de convention un usage temporaire et spécifique des immeubles compris dans son domaine public dès lors que cet usage est compatible avec sa mission, qui comprend notamment la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré en application de l'article R. 322-13 du même code ».
Toutefois, « lorsque le conservatoire procède à l'intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d'un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu'à son éventuelle dénonciation, un titre d'occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d'une contravention de grande voirie pour s'être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Ce contrat ne peut, en revanche, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu'il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique ».
« Il s'ensuit qu'après l'incorporation au domaine public de terres mises en valeur par un exploitant, le conservatoire peut décider de dénoncer le bail rural qui n'était pas encore parvenu à expiration, pour mettre fin à cette occupation et priver par conséquent l'exploitant du droit et du titre d'occupation procédant de ce bail. Dans l'hypothèse où, après cette dénonciation, le conservatoire considère que l'usage des biens relevant de son domaine propre peut être associé à une exploitation agricole, il peut alors proposer de conclure avec ce même exploitant, qui dispose pour la poursuite de son activité d'une priorité en vertu des dispositions de l'article L. 322-9 […], ou, en l'absence d'accord avec celui-ci, avec un autre exploitant, une convention d'usage temporaire et spécifique qui, en vertu des dispositions de cet article, et ainsi qu'il est dit […], permet un usage des terres compatible avec les missions confiées à l'établissement public, notamment la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels, ainsi que, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré à cette fin en application de l'article R. 322-13 du même code. Dans le cas où le bail conclu antérieurement à l'incorporation n'est pas dénoncé et au plus tard jusqu'à sa prochaine échéance - date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique fait obstacle à ce qu'il puisse être renouvelé -, il est loisible au conservatoire de laisser l'occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire. Dans tous les cas, une exploitation agricole des biens incorporés au domaine propre de l'établissement public qui porte atteinte à l'intégrité ou à la conservation de ce domaine constitue, en vertu de l'article L. 322-10-4 du code de l'environnement […], et sans préjudice des sanctions pénales encourues, une contravention de grande voirie qu'il appartient au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de constater, réprimer et poursuivre par voie administrative ».
Dès lors, « en jugeant, sur la base des faits rappelés […], qu'elle a souverainement appréciés sans les entacher de dénaturation, et par un arrêt qui est suffisamment motivé et qui n'avait d'ailleurs pas, au regard de la motivation retenue, à se prononcer sur la question d'une identité de litige entre celui soumis au tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon et celui relevant du tribunal administratif de Marseille, que le bail rural de M. A., dont la validité a été reconnue jusqu'au 30 mars 2022 par un jugement du 15 mai 2019 du tribunal paritaire des baux ruraux, ne pouvait, en dépit d'une vaine invitation adressée par le conservatoire à M. A... à signer une convention d'usage temporaire et spécifique au cours de l'année 2014, être regardé comme dénoncé à la date d'établissement du procès-verbal d'infraction du 28 mars 2018 et que, par suite, M. A., exploitant présent sur les lieux à la date d'incorporation des parcelles du domaine du Taxil dans le domaine public du conservatoire, ne pouvait être regardé à la date de ce procès-verbal, faute de dénonciation par le conservatoire du contrat de bail qui le liait à M. A., comme un occupant sans droit ni titre de ce domaine, la cour administrative d'appel, qui n'avait d'ailleurs pas à rechercher si le conservatoire avait l'intention de lui octroyer un tel droit dès lors qu'il lui appartenait le cas échéant d'en constater elle-même l'existence, n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant qu'à compter du 1er janvier 2017 et jusqu'à son expiration, ce bail dont elle n'a d'ailleurs pas, contrairement à ce qui est soutenu, considéré, en vertu du régime de la novation prévu aux articles 1329 et suivants du code civil, que s'y était substituée une convention d'usage temporaire et spécifique établie conformément aux dispositions de l'article L. 322-9 du code de l'environnement, a pu néanmoins, jusqu'à sa dénonciation ou son expiration, conférer à son titulaire un droit d'occupation et d'usage précaire sur cette partie du domaine public du conservatoire. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ».
Source: Fil DP